Seule 1 multinationale sur les 27 analysées s’engage sur la trajectoire 1,5°C des Accords de Paris

Usine pollution

Source : contenus issus du Communiqué de Presse Notre Affaire à Tous du 13 Juillet 2022

Mercredi 13 juillet 2022, l’association Notre Affaire à Tous publiait son édition 2022 du Benchmark de la vigilance climatique des multinationales. Cette étude d’une centaine de pages passe au crible les mesures de vigilance climatique de 27 grandes entreprises françaises emblématiques issues de secteurs d’activités fortement émetteurs.

Depuis la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance, les grandes entreprises françaises sont tenues d’adopter un plan de vigilance qui identifie les risques d’atteinte aux droits humains et à l’environnement ainsi que les mesures de vigilance raisonnables propres à éviter la survenance de ces risques, dont ceux liés au climat. Comme les États qui peuvent être attaqués et condamnés pour inaction climatique (à l’image de l’Etat français dans Grande-Synthe et l’Affaire du Siècle), les grandes entreprises font également face à des risques juridiques de responsabilité en la matière. En effet, au-delà de la loi sur le devoir de vigilance, toutes les personnes publiques et privées, et en particulier les grandes entreprises, ont pour obligation d’être prudentes et vigilantes en matière environnementale et doivent également prévenir les préjudices écologiques.

Notre Affaire À Tous publie cette année un troisième rapport annuel consécutif sur la vigilance climatique des grandes multinationales françaises, en se fondant presque exclusivement sur des documents publiés par les entreprises elles-mêmes.

Les enseignements du benchmark 2022

Podium pollueurs

Aucune entreprise analysée n’est en mesure de démontrer sa conformité avec l’ensemble de nos critères de vigilance climatique, dont l’observation est nécessaire pour faire de la transition écologique une réalité. Les manquements de la Société Générale, Auchan, Casino, Eiffage, Bolloré, Total Energies, Bouygues et BNP Paribas sont particulièrement préoccupants.

Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à Tous : “Comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport, les impacts de la crise du Vivant sont d’ores et déjà visibles en France et les conséquences quotidiennes et imprévisibles. Et nous ne sommes pas prêts. Si l’Etat doit être le pilote de la transition nécessaire à laquelle la France s’est engagée, les entreprises doivent aussi prendre leur part. Or, une majorité des entreprises que nous avons analysées ne montrent pas de signes de changements structurels. Il est urgent de mettre en œuvre des outils de contrainte proportionnés à l’ampleur des manquements de ces acteurs clés pour la transition.”

Alors que l’empreinte carbone cumulée des 27 multinationales évaluées s’élève à 1 651,60 millions de tonnes équivalent CO², soit près de 4 fois le total des émissions territoriales de la France en 2020 (396 Mt CO2e), le rapport Benchmark 2022 dresse les constats principaux suivants :

  • de nombreuses défaillances persistantes en termes d’identification des émissions indirectes, en particulier celles dites du “scope 3” (critère 1-A de la méthodologie) ;
  • une absence générale de reconnaissance de responsabilité, alors qu’il est indiscutable que chacun.e doit faire sa part en matière climatique (critère 1-B) ;
  • de nombreux engagements demeurent non-alignés avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de paris et/ou ne portent pas sur l’ensemble des émissions des entreprises (critère 2-A) ;
  • des carences sérieuses dans la mise en œuvre de ces engagements (critère 2-B).
  • certains plans de vigilance n’intègrent toujours pas suffisamment le climat (critère 3).

 

L’absence de conformité avec ces critères expose les entreprises au risque contentieux. La justice, dans les contentieux en cours contre Total et Casino, ainsi que dans d’autres potentiels dossiers de vigilance climatique que Notre Affaire à Tous étudie actuellement, aura un rôle déterminant à jouer sur de nombreux dossiers. Au-delà de la France, les institutions européennes et membres du Parlement Européen joueront également un rôle clé, dans le cadre des travaux en cours sur le projet de directive sur le devoir de vigilance uniformisée au sein de l’Union. Ce texte est depuis le début vivement attaqué par les lobbys des grands secteurs polluants, qui multiplient en parallèle les campagnes de greenwashing auprès de leurs salariés et clients.

Les enseignements clés du rapport

Manque d’intégration du climat au plan de vigilance

3 entreprises sur 27 n’intègrent toujours pas le climat à leur plan de vigilance. Pourtant, l’analyse du risque climat au sein du plan de vigilance devrait être faite de manière systématique, en particulier pour les entreprises fortement contributrices au réchauffement climatique. En effet, la science climatique est extrêmement claire : les différents rapports du GIEC démontrent que l’aggravation du changement climatique comporte des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, en particulier au-delà de 1,5°C. Le risque climatique doit donc être intégré dans le plan de vigilance de chaque entreprise. Si 24 entreprises intègrent désormais le climat dans leur plan de vigilance, plus de la moitié (14) d’entre elles ne le font que très partiellement.

Empreinte carbone et communication incomplète

Les entreprises analysées dans le benchmark ont toutes un lourd impact climatique : selon leurs propres communications, l’empreinte carbone cumulée des vingt-sept multinationales analysées s’élève à 1652 Mt CO²e, soit plus de quatre fois les émissions territoriales de la France. Une baisse de l’empreinte carbone cumulée peut être observée pour 2020, mais elle ne pourrait être que conjoncturelle (Covid-19). Par ailleurs, l’impact climatique des entreprises reste encore très insuffisamment retracé. Dix-huit des entreprises sur 27 ne publient pas ou de manière très incomplète leur empreinte carbone.

Une reconnaissance limitée du risque climatique

La loi sur le devoir de vigilance exigeant une identification des risques pesant sur les droits humains et sur l’environnement, chaque entreprise doit explicitement reconnaître les conséquences de ses émissions de GES et de sa contribution au changement climatique.

Pourtant, seules 4 entreprises analysées reconnaissent explicitement leur contribution au changement climatique et analysent correctement les conséquences de ce dérèglement sur les droits humains et l’environnement. Une réelle prise de conscience demeure donc nécessaire afin de saisir l’ampleur de leur responsabilité et de mettre en œuvre les mesures adéquates pour lutter contre le changement climatique.

Des engagements peu précis et rarement ambitieux

Pour prévenir les risques graves d’atteinte aux droits humains et à l’environnement, les entreprises doivent adopter une stratégie efficace et cohérente avec l’Accord de Paris. Pour ce faire, les engagements pris doivent être chiffrés et détaillés en plusieurs étapes avec des objectifs intermédiaires précisés à l’horizon 2030, 2050 et au-delà.

La trajectoire 1,5°C (visant la neutralité carbone en 2050) est la seule trajectoire permettant de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris avec une probabilité raisonnable (voir infra – méthodologie). Seule 1 entreprise sur 27 s’engage sur la trajectoire 1,5°C pour l’ensemble de ses émissions et avec une trajectoire chiffrée dans le temps.

L’absence de mise en oeuvre de mesures cohérentes

La loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises à rendre compte publiquement de la mise en œuvre effective des mesures adaptées de prévention contre les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Autrement dit, les entreprises doivent communiquer les mesures adoptées pour limiter le réchauffement planétaire en-deçà des 2°C, limite au-delà de laquelle le dérèglement climatique est extrêmement dangereux pour nos écosystèmes.

Les mesures présentées concernent rarement l’ensemble des activités émettrices des groupes et nombre d’entre elles sont basées sur des technologies indisponibles à l’heure actuelle, telles que les technologies de capture et de séquestration du carbone. Par ailleurs, le maintien de certaines activités (par ex. hydrocarbures non conventionnels) ou l’absence de plan de transition pour certains produits (par ex. voitures thermiques) remettent fréquemment en question la cohérence de la stratégie communiquée par l’entreprise. Enfin, aucune entreprise ne publie des informations suffisamment précises pour qu’un observateur extérieur puisse évaluer la mise en œuvre des mesures annoncées.

En somme, toutes les entreprises font face à un risque de non-conformité avec la loi sur le devoir de vigilance. Si elles ne se conforment pas à ces demandes, les multinationales pourront être attaquées en justice.

 

Avertissement :

“L’objectif de cette étude est d’évaluer la transparence et la suffisance des engagements des entreprises soumises à la loi relative au devoir de vigilance en matière climatique.

Pour rappel, les impacts environnementaux de nature différente (biodiversité et autre forme de pollution) n’ont pas été pris en compte. Aucune enquête de terrain n’a été réalisée pour vérifier la sincérité des informations dévoilées par les entreprises.

La notation des entreprises s’est restreinte à l’évaluation de la coherence des informations climatiques ainsi que la suffisance des engagements de réduction de gaz à effet de serre au regard des données scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).”

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